Philippe BOLTON
Philippe BOLTON est facteur de flûtes à bec depuis plus de 40 ans.
“Etais-je prédestiné à devenir facteur ? A l’âge de 10 ans, à l’école primaire, je me suis trouvé dans un groupe d’élèves animé par une institutrice passionnée de musique qui nous a fait fabriquer et jouer des pipeaux en bambou. C’est ainsi que j’ai construit mon premier instrument dont je suis tombé amoureux de la sonorité.
Sa tessiture étant un peu limitée, mes parents m’ont par la suite offert une flûte à bec en bakelite, ainsi qu’une méthode qui m’a permis de faire mes premiers pas et de progresser.
La flûte à bec n’était pas considéré à l’époque comme un instrument « sérieux », j’ai poursuivi mon apprentissage musical pendant toute ma scolarité en jouant du violoncelle, sans jamais abandonner ma petite flûte.
Plus tard, je me suis aperçu que mes doigts étaient plus agiles à la flûte qu’au violoncelle et c’est alors que j’ai pris la décision d’en faire mon instrument principal, à la suite de quoi, avec quelques amis qui avaient monté un petit orchestre, j’ai joué en concert avec une autre flûtiste et un violoniste le quatrième concerto Brandenbourgeois de J-S Bach. Je n’oserais plus faire cela aujourd’hui.
Ma passion pour la flûte à bec m’a permis d’entrer dans un ensemble de musique ancienne à Lille et m’a poussé à suivre des stages, avec les professeurs du conservatoire de Strasbourg, seul endroit où l’instrument était enseigné au début des années 1970.
Tout aurait pu se terminer là, si je n’avais pas fait la rencontre de Claude Monin. J’étais avide d’écouter toutes ses explications sur le fonctionnement et l’acoustique de ses flûtes. J’avais eu plusieurs fois l’occasion de visiter son atelier, et petit à petit cela me paraissait évident que c’est dans cette voie que je devais me lancer.
Alors commença pour moi une longue période de désert. Au début des années 1970 la flûte à bec était en plein essor, mais pour moi tout était à découvrir, sans aucun apprentissage possible.
La première démarche devait consister à monter un atelier. Claude m’avait laissé passer une journée chez lui, me donnant ainsi une idée des machines dont je pourrais avoir besoin.
La priorité c’était un bon tour à bois adapté aux tâches de tournage et de perçage de bois durs d’assez gros diamètres. C’est grâce à l’aide d’un ami travaillant dans une entreprise de mécanique que j’ai fait le bon choix. Je travaille toujours avec cette machine aujourd’hui.
De nombreuses personnes m’ont généreusement aidé de conseils dans différents domaines. Je pourrais citer Friedrich von Huene, Edgar Hunt, Michèle Castellengo, Daniel Bariaux, Annie Sturbois, Fred Morgan et John Hanchet. C’est avec ce dernier que j’ai pu suivre un stage de facture d’instruments à vent en Autriche. J’avais obtenu pour cela un congé formation et c’était la première fois que je pouvais passer deux semaines à ne faire que cela, car à l’époque je travaillais dans une entreprise de vente par correspondance et n’étais libre que le soir et le week-end.
Mes recherches m’ont amené dans des bibliothèques à la recherche de documents techniques anciens, et aux musées d’instruments à Bruxelles et Paris. A l’époque l’accès aux collections d’instruments originaux était relativement facile, et j’ai pu mesurer une des cinq flûtes alto de Jean-Hyacinthe Rottenburgh qui a constitué mon premier modèle, avant que je ne découvre l’alto et la ténor de Stanesby Junior qui venaient arriver au Musée de Conservatoire.
Cette flûte ténor est très intéressante car, aux dires de Stanesby lui-même dans une brochure qu’il publia en 1732, elle est particulièrement adaptée à jouer avec les flûtes traversières et les hautbois, et même les remplacer dans leur propre répertoire.
A cette époque j’habitais près de Lille. Le conservatoire de cette ville venait d’ouvrir une classe de musique ancienne avec comme professeur de flûte à bec Jacqueline Ritchie et le musicologue Antoine Geoffroy-Dechaume pour la classe de clavecin Je m’y suis présenté, malgré le fait que j’avais dépassé la limite d’âge, et j’ai été admis. J’en suis sorti quelques années plus tard avec une médaille d’or dont je ne suis pas vraiment fier aujourd’hui étant donné le haut niveau des flûtistes actuels.
Pur et dur au début, je réalisais uniquement des flûtes au diapason et au doigtés originaux avant de me rendre compte que la multiplication des accords différents rendait difficile le jeu en ensemble. Une normalisation s’imposait et j’ai ensuite adopté les diapasons « standards » et les doigtés les plus courants demandés par les flûtistes.
Comme certains de mes collègues, j’ai suivi la mode des instruments « Ganassi », mais je suis convaincu aujourd’hui que leur sonorité ne convient pas au répertoire prébaroque pour lequel ils sont fréquemment employés. Il existe plusieurs originaux du XVIIe siècles dont le timbre est plus proche du caractère de cette musique et leurs doigtés conformes aux tablatures de l’époque, ce qui est le cas de la belle soprano de Haka conservée aujourd’hui à Edimbourg.
Je me suis aussi intéressé aux instruments du Moyen Age, en me basant sur l’icongraphie et sur mes calculs pour leur donner un caractère proche de mon idée de la musique des XIVe et XVe siècles. Quelques originaux ont été retrouvés depuis, la plupart en mauvais état et tous de petite taille alors que dans les peintures nous voyons des instruments plus grands. Ils peuvent, malgré cela, confirmer nos intuitions sur les profils de perce notamment.
A l’occasion d’un voyage à Paris j’ai entendu le violiniste de jazz Didier Lockwood au Théâtre du Châtelet. J’étais émerveillé par la palette de sons que produisait son violon électrique. De là est né un rêve un peu fou… créer une flûte à bec capable de faire des choses similaires. C’est ainsi qu’est née ma flûte électro-acoustique, qui a trouvé sa place dans certaines musiques actuelles.
Pendant de nombreuses années mes travaux m’ont rapproché du Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Maine, où j’ai pu approfondir mes connaissances et trouver des réponses à de nombreuses questions. J’y ai aussi découvert le logiciel Resonans qui constitue une aide précieuse lors de la mise au point de nouveaux modèles.
Plus récemment, à la suite d’une conférence de Hugo Reyne sur le flageolet, j’ai eu envie de découvrir cet instrument dans toute sa diversité. J’ai eu la chance de pouvoir acheter plusieurs flageolets anciens de différentes époques et j’ai ainsi pu vivre le luxe de travailler d’après des originaux que l’on a en permanence sous la main chez soi.
Mes activités m’ont aussi amené à donner des conférences et à animer des ateliers en France et à l’étranger.
Le marché de la flûte à bec est presque mondial. Ce métier m’a donné des possibilités de voyage que je n’aurais pas pu imaginer autrefois. C’est ainsi que j’ai pu exposer mes productions et donner des conférences dans de nombreux pays européens, en Amérique du Nord, au Japon, et même en Australie, où j’ai eu l’occasion de faire de la formation dans un atelier local.
Après plus de quarante années d’activité et plus de mille instruments produits, je continue à exercer mon métier de facteur tant que je pourrai le faire car j’ai encore des rêves plein la tête.“
Sites : https://www.flute-a-bec.com ; https://www.flageolet.fr
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