In Memoriam Marijke Miessen
Chers amis,
Une grande dame de la flûte à bec vient de nous quitter. Marijke Miessen avait étudié au conservatoire d’Amsterdam, où elle obtint son diplôme « cum laude » en 1977. Elle entama alors une brillante carrière d’interprète et de pédagogue qui la conduisit dans presque tous les pays d’Europe. Invitée régulièrement à la Schola Cantorum de Bâle, elle a également été professeur au conservatoire d’Amsterdam de 1978 à 1993. Ses enregistrements des sonates de Telemann ont fait date, ainsi que ses deux très beaux disques de musique française et de musique italienne & hollandaise du XVIIe siècle. Elle s’est éteinte en octobre 2021.
Derrière cette petite biographie « officielle », il y a une personne qui nous a beaucoup marqués, et à laquelle nous étions très attachés. Dès la fin des années 1970, existait à Paris l‘Institut de Musique et de Danse Ancienne d’Ile de France (IMDA), préfiguration de ce qui deviendrait un jour le Centre de Musique Baroque de Versailles. Cet institut avait organisé des concerts et des stages avec les grands (et déjà mythiques) flûtistes à bec hollandais : Frans Bruggen, Kees Boeke, Walter van Hauwe. Nous étions un groupe d’une douzaine de jeunes flûtistes à bec, enthousiastes et assidus. Certains d’entre nous purent intégrer les conservatoires d’Amsterdam ou de La Haye pour y effectuer un cursus complet, mais pour ceux qui ne le pouvaient pas (souvent déjà engagés dans une vie professionnelle et familiale), ces « mini-blocks » ont été absolument déterminants. Après quelques sessions, Kees et Walter, très pris car alors au sommet de leur carrière de concertistes, passèrent le relais à l’une de leurs élèves, Marijke Miessen. Nous nous sommes vite rendus compte que nous n’avions pas perdu au change : la pédagogie de Marijke était éblouissante, fascinante. Elle avait développé au plus haut degré l’art de la maïeutique cher à l’école hollandaise. La plupart d’entre nous n’avait jamais connu que des professeurs « déversant » leur savoir, au demeurant un savoir exact et utile ! (« Tiens, là, il faut mettre un trille ; là, il faut jouer inégal ; là, le tempo est trop rapide, et puis fais attention, tes fa aigus sont trop hauts etc…etc… »). Aussi étions-nous déstabilisés quand Marijke, après nous avoir écoutés attentivement, nous demandait « Bon, dans la première phrase, quelle est pour toi la note la plus importante ? »
Oups ! Il fallait donc interroger le texte, s’interroger, passer au crible nos habitudes de jeu et nous demander si elles se justifiaient dans telle ou telle circonstance : construire vraiment une interprétation. Marijke ne nous donnait jamais de solutions toutes faites ; elle nous guidait, pas à pas, jusqu’à ce que nous eussions trouvé nous-mêmes ce que nous voulions faire, en cohérence avec les divers aspects de l’oeuvre. Le côté très logique de son enseignement, « scientifique » même (elle avait une admiration pour Descartes et s’étonnait souvent de ce que les français fussent si peu cartésiens…) rebutait certains, qui auraient désiré une approche moins « froide » plus « sensible ». À cela, elle répondait qu’une sensibilité qui n’a pas les moyens techniques de s’exprimer ressemble furieusement à une absence de sensibilité, et que son rôle à elle était de nous communiquer justement ces moyens, rien d’autre. Quel respect de l’élève ! Quelle maturité et quel humanisme ! Merci Marijke, de nous avoir appris cela : en exerçant à notre tour cette pédagogie, nous avions ton image en tête, ton sourire et tes yeux intelligents, ironiques. Nous avons fait chacun notre chemin, nous t’avons perdue de vue pendant plusieurs décennies, mais tu étais là, à chaque cours que nous donnions, et ton esprit continuera de vivre dans les élèves de nos élèves.
Robin Troman